En m’inspirant de l’attachement culturel de l’ami Félix B. Desfossés (Vente de Garage) pour les productions de son abitibi natale, j’arpente aussi depuis des années les disquaires de la province à la recherche d’artistes issus de ma terre d’enfance, le Bas St-Laurent. Originaire de Luceville, un tranquille village près de Rimouski, je me surprends d’avoir attentdu si longtemps avant de vous entretenir de cette vague déferlante de groupes qui s’abattait sur l’Est du Québec -comme dans toute autre région d’ailleurs- durant les années 60. S’il est vrai que, même influents, peu d’artistes de Rimouski eurent le privilège de léguer un 45 tours ou un album pour la postérité, je n’avais pas à chercher bien loin pour rendre hommage à la frénésie qui chauffait les salles de danse de l’époque. Mon oncle fut guitariste pour les formations Les Bohèmes puis Les Balnéaires; ma tante tomba sous le charme du chanteur François Ricaud; ma mère sortie avec le chanteur des Vibratones; mon père vendait sa voiture au guitariste des Fanatiques l’an dernier; j’ai collaboré il y a longtemps avec la chanteuse Lyse Poirier en plus d’avoir Denis Grondin et Jean Rabouin des Polytones comme enseignants… Les signes me semblaient évidents; le temps était venu de réapprivoiser et diffuser tous ces artistes rimouskois.Tu peux sortir le gars de l’Est, mais pas l’Est du gars.
Ils étaient plusieurs à participer à la première vague de rock n roll puis à contribuer à la frénésie yéyé au Bas St-Laurent: Les Riki-Rocks, Les Polytones, Les Garçons du Rythme, Les Idéfix, Les Rit-Miks, Les Majestiks, Ricky et les Dynamiques, Les Satellites, Les Balnéaires, Les Céciliens, Les Vibratones, Les Imprévus, Les Bourgmestres ou Les Nobles. Du lot, quelques-uns se démarquaient aisément sur la scène rimouskoise par leur impressionnant fanclub: Les Fanatiques avec leur charismatique guitar hero; Les Bohèmes, dignes représentants du merseybeat ainsi que le soloiste François Ricaud qui pouvait se vanter sans exagérer d’avoir chanté pour tous les groupes de la région. Nous reviendrons sur ces quelques derniers dans de futurs articles. Pour le moment, misons sur Les Fanatiques. J’ai eu le plaisir de m’entretenir à l’été 2011 avec Guy-Lomère Couture, mieux connu sous le nom de Muthy, ancien guitariste du groupe.
SD : D’où vous vient le surnom de Muthy?
GLC : Ça vient de ma marraine. J’avais 5 ans, elle me trouvait grassette… comme une motte. Mes frères et mes amis revenaient toujours avec ça et ça ma suivi depuis.
SD : Comment avez-vous démarré votre carrière musicale?
GLC : J’ai participé à un concours amateur dans un bar à l’angle Rachel / St-Denis à Montréal, vers 1960-61, avec mon cousin et un ami. J’avais 17 ans; on voulait juste tenter notre chance sur une scène. C’est là que j’ai croisé Johanne & the Glazers. Ils venaient de perdre leur guitariste et m’ont demandé de rejoindre leur groupe. Johanne serait plus tard connue sous le nom de Moira. On a joué ensemble tout l’été et on s’est perdu de vue à l’automne.
Je suis déménagé à Québec pour joindre l’armée de 1962 à 1965. J’écoutais beaucoup de Chet Atkins ou The Ventures et cherchait à émuler leur notes étirées. Je me suis procuré des cordes light gauge black diamond flat wound et une 2ème (si) «.016 plain» pour remplacer la troisième corde et ça fonctionnait. En 1964, je me procure une Gibson ST-45 et un Dynacord (aussi appelé Echocord, un proche parent de l’Echolette): ça sonnait tellement bien! Je rejoint alors un autre groupe entièrement composé de militaires, Les Caravelles. Pierre Gingras était notre chanteur et avec lui, on s’est retrouvé dans un concours d’orchestres au club Le Baron de Montréal… concours que nous avons gagné. Notre prix: un contrat d’une semaine au Baron et un voyage à New York… pour une personne! ahaha
De l’automne 64 au printemps 65, je jouais avec un groupe de Loretteville: Les Métronomes. Lorsque j’ai quitté l’armée, je me suis ramassé à Mont-Joli.
SD : C’est à ce moment que vous avez rencontré les Fanatiques, évoluant alors en trio avec Claude Côté, Jacques Dechamplain & Richard Côté?
GLC : Oui. Je visitais le Jolly Rogers à Mitis. Les pièces qu’ils jouaient, je les connaissais toutes. Je leur ai offert de devenir leur guitariste solo et ça a cliqué instantannément. J’ai quitté mon nouvel emploi à l’hôpital de Mont-Joli et ai ainsi pu vivre de ma musique pendant au moins trois ans.
SD : À propos, vous vous présentiez comme les Fanatics ou les Fanatiques?
GLC : On utilisait les deux versions. On l’avait fait écrire en anglais sur l’étiquette du 45 tours. C’était aussi probablement pour sauver des lettres au moment de l’écrire sur le bassdrum ! *rires*
SD : Vous performiez à Rimouski?
GLC : Surtout à l’extérieur, au début. Quand on revenait à Rimouski, on était en break. Plus tard, quand on s’est établi à Rimouski pour y jouer à toutes les fins de semaines, la scène avait changé: y’avait maintenant un groupe qui jouait à chaque coin de rue!
SD : De quoi était composé le répertoire des Fanatiques en spectacle?
GLC : Surtout des reprises; on pouvait passer des Beatles à Gilbert Bécaud… On a pas interprété notre 45 tours longtemps sur scène. On jouait aussi les Beach Boys, les Stones, Les Yardbirds et même du Aznaour. On se produisait le plus souvent en programme-double et on misait essentiellement sur la musique de danse. En spectacle au Quai Narcisse à Rivière-du-Loup, on avait ouvert pour les Bel Canto (qu’on connaissait déjà de nos séjours montréalais) et c’est grâce à eux qu’on a pu enregistrer notre 45 tours. Ils ont convaincu le patron du bar de payer pour l’enregistrement une fois notre contrat terminé. On s’est rendu aux studios StereoSound (sur Côte-des-Neiges à Montréal) à l’automne 65. Sur cet enregistrement, on peut entendre notre premier batteur, Jacques Deschamplain, qui serait bientôt remplacé par Denis, Raynald puis plus tard dans les années 70, Claude Côté.
Au printemps 66, nous étions de retour à Montréal pour jouer au Café St-Jacques et à la Casa Loma. Les performances se suivaient, il y avait des danseuses à gogo -parfois en cage!- la musique était en continue, ça s’arrêtait pas. Nous, on restait un mois ou plus, mais les vedettes s’y succédaient à chaque semaine. Lors de nos passages, nous partagions la scène avec The Preachers, un autre groupe signé sur Plaza. On tournait beaucoup; en peu de temps, on a pu se produire dans toute la province.
SD : Quels groupes québécois affectionniez-vous particulièrement.
GLC : J’étais déjà un fan des Ventures, alors j’adorais Les Mégatones. Il y avait aussi Les Mercedes qu’on aimait beaucoup. Lorsque Johnny Farago a quitté le groupe, on les voyait souvent à Rimouski. On avait fait un spectacle au Quai Narcisse avec Les Blue Sisters; elles étaient bonnes… mais de vraies sainte-nitouche!
SD : Lorsque vous reveniez dans le Bas St-Laurent, quelles salles vous accueillaient?
GLC : Y’en avait beaucoup. À Rimouski, c’était l’Hôtel Normandie, l’Hôtel du Hâvre et la salle des JOC (Jeunesses Ouvrières Catholiques). Il y avait aussi Le Bogey à Pointe-au-Père, Le Manoir St-Laurent et l’Hôtel Lebel à Luceville, l’Hôtel Royal de Price ou le Club des Racketeurs et Ti-Noir à Ste-Blandine. À part les Balnéaires, on croisait rarement les autres groupes de la région: on travaillait tout le temps…
SD : La dissolution des Fanatiques a lieu en 1977. Vous avez fait partie de d’autres groupes par la suite?
GLC : Express en 1979, ensuite Harmonie puis Hélium de 1983 à 1985. À ce moment, on jouait un répertoire plus près des palmarès, avec de maudits bons musiciens. [ Muthy produirait aussi son propre album instrumental dans les années 90, Fingerstyle ]
Après ce survol biographique, revenons sur l’unique 45 tours du groupe. Enregistrées à l’automne 1965, les deux compositions du tandem Guy-Lomère Couture et Claude André n’ont jamais fait l’objet d’une quelconque réédition et ne furent jamais compilées. Elles rejoignent ainsi la plupart des autres titres pressés sur l’étiquette Plaza. Pour une rare fois, c’est la face A, Là où nous allons , qui se déchaîne brusquement. Affichant malgré tout une certaine retenue, cette composition offre quelques aspects juste ce qu’il faut de grinçant avec ses couplets d’accords mineurs en stop-and-go et la guitare de Muthy aux refrains. L’ensemble émule à la fois la rigueur du merseybeat et la personnalité caustique du rock garage naissant. Bref, c’est dans ta face et dans tes hanches; envoye debout pis danse!
Je tiens à remercier chaleureusement Guy-Lomère Muthy Couture pour son accueil, ses anecdotes et coupures de presses. J’aimerais à nouveau souligner le travail de défrichage essentiel qu’à réalisé le journaliste rimouskois Hughes Albert depuis quelques décennies. Son influente démarche à su catalyser à la fin des années 80 une passion pour le rock québécois chez votre humble blogueur. Chapeau bas! D’autres articles à propos de la scène rimouskoise suivront dans les prochains mois. Les prochains en lice: Les Bohèmes! En attendant… bonne lecture et écoute!
Si vous avez fait partie d’une des nombreuses formations listées plus haut et souhaitez partager avec nous vos anecdotes, photos ou enregistrements, je vous invite à nous contacter. Votre témoignage importe!
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