Alex Fontaine & le Saint-Graal du rock garage québécois

Les Items, avec Alex Fontaine à droite (collection).
Lafontaine avec son 45 tours et sa guitare, juin 2016.

Si vous mentionnez le nom Jean-Marc Lafontaine à des collectionneurs de rock garage québécois, seuls les plus érudits feront le lien entre lui et le nébuleux groupe de Trois-Rivières Les Ithems, connu principalement pour son adaptation fracassante de Foxy lady du Jimi Hendrix Experience. Maintenant nommez Alex Fontaine et regardez leurs yeux s’illuminer! TOUS s’entendront alors pour qualifier le 45 tours du mystérieux chanteur- Tu n’es pas sincère – comme un des simples définitifs du genre, un des plus convoités, influents et logiquement… un des plus rares de la province. Près de 50 ans après l’enregistrement de ce Saint-Graal du rock québécois, on peut enfin affirmer que Jean-Marc était bel et bien Alex Fontaine! Cette information avait été timidement avancée dans l’essentiel ouvrage de Léo Roy, La merveilleuse époque des groupes des années 60 au Québec (Rétro Laser; 2003), mais le chanteur manquait toujours à l’appel… jusqu’à aujourd’hui. L’ami et mélomane averti Michel Gagnon a ainsi enquêté sans relâche et retracé Fontaine à quelques villages de chez-lui. Sans son travail acharné, rien de ceci n’aurait été possible et je ne saurais trop le remercier pour cette opportunité. Ensemble, nous avons interviewé le musicien en juin 2016 et pouvons enfin lever le voile sur son 45 tours qui a certainement fait plus de bruit dans les dernières décennies qu’au moment de sa sortie.

Lafontaine est originaire de Dupuy en Abitibi, un village à deux pas de la frontière entre le Québec et l’Ontario. Sa famille possédait un piano sur lequel Lafontaine a développé une aisance naturelle pour interpréter à l’oreille des chansons connues. C’est en déménageant à Trois-Rivière autour de 1965 que le jeune musicien -maintenant guitariste- a tôt fait de réunir de nouveaux copains dans son tout premier groupe : Les Mustangs.

C’est à l’école anglaise que je fais la rencontre de Claude Saintonge puis Roger Lemieux. Lemieux était notre gérant – et aussi concierge à l’école – et nous amenait partout, dans les salles des JOC, les gymnases des écoles… Ça marchait FORT: on jouait toutes les fins de semaine et c’était booké des mois d’avance! Saint-Anne-de-la-Pérade, Saint-Casimir, Deschambault, Donnaconna… On était le groupe le plus en vue de la Mauricie et on s’est même rendu à Montréal plus tard.

Les Mustangs en 1965: Jean-Marc Lafontaine, Claude Saintonge, Roger Lemieux, -JeanYves Chapdelaine.

On avait eu accès gratuitement à une salle dans notre école où on pratiquait sans arrêt. Un an après nos débuts, on a participé à un premier jamboree d’orchestres au colisée de Trois-Rivières devant 4000 personnes. Les Classels et Les Baronets étaient présents. Personnellement, j’étais pas un amateur de reprises à la sauce québécoise, même si j’en ai fait quelques-unes à mes débuts : je préférais toujours interpréter la version originale d’une chanson. Notre spectacle incluait donc des versions en anglais ainsi que 2 ou 3 de mes toutes premières compositions. La foule criait et réclamait Les Mustangs et éventuellement, nous avons surclassés tous les groupes -amateurs comme professionnels- et remporté le concours.

Les Mustangs sur scène!

Géatan Santerre travaillait à la station CHLM (Trois-Rivières). Il avait accès aux nouveautés anglaises et américaines avant tout le monde et nous les faisait entendre avant que ce soit diffusé. On entendait par exemple Paint it black des Stones et on l’interprétait 2-3 jours plus tard sur scène devant une foule surprise : ça nous aidait beaucoup!

Les Mustangs avec quelques fans devant la station CHLM de Trois-Rivières, août 1965.

Quelques mois plus tard alors que son groupe fait du sur-place, Fontaine croise de nouveaux musiciens et décide de laisser tomber Les Mustangs, recherchant quelque chose de plus professionnel. C’est ainsi que Gil Patrick (né Gilles Desrochers) remplace le chanteur dans le groupe qui poursuivra ses activités durant quelques années, enregistrant même au passage un 45 tours avec l’arrangeur François Carel et diverses chansons demeurées inédites jusqu’à ce que les Disques Mérite les incluent dans leurs compilations Les Introuvables.


Les Mustangs.

En quittant les Mustangs, Fontaine recrute de nouveaux collaborateurs. Entre alors le guitariste Roger Hubert dit Maguire, avec sa nouvelle Gretsch achetée chez Bonneville à Trois-Rivières. À cet ex-membre de la formation locale Les Downbeats (et plus tard guitariste au sein du power trio Les Soundtracks) s’ajoutent Robert Dussault (basse) et Michel Fafard (batterie), tous deux anciennement du groupe Les Jaguar Men.

Les Ithems, 1968.

Les musiciens se choisissent rapidement un nouveau nom pour leur groupe en hommage à une autre formation, écossaise cette fois-ci : Them (avec Van Morrison). Les Ithems (rapidement simplifié Les Items) adoptent un son plus corrosif et empreint d’une évidente influence anglaise, adaptant les Rolling Stones, The Animals, The Who… presque pas de Beatles, précise Lafontaine. On a fait des sous avec les deux groupes que j’ai assemblé. Je me souviens qu’en 1967, je gagnais 75$ par soir! Je chantais 3 fois pis je m’amusais, c’était sain. Je ne touchais pas à la drogue ni à l’alcool, même si par moments on jouait dans des bars comme à Lac-aux-Tortues où ça brassait davantage.

Les Ithems enregistrent en janvier 1968 leur unique simple pour le compte de TéléDisc, une des nombreuses étiquettes gérées par le producteur Denis S. Pantis. Curieusement, Lafontaine n’apparait nul part sur ce 45 tours. Il précise : J’ai quitté le groupe au printemps 1967, sans controverse, entre bons copains. C’est Michel Fafard qui m’a remplacé par la suite dans Les Ithems. Selon Lafontaine, c’est probablement cette mouture du groupe (qui incluait aussi Patrick Nameth et François Biron au moment de l’enregistrement du 45 tours) qui se serait aussi produite à quelques reprises à la télévision, notamment aux émissions Bonsoir Copains (Sherbrooke) et Jeunesse en Orbite (Trois-Rivières).  Normand Choquette ou Gaétan Santerre ont dû m’influencer pour que je tente ma chance en solo. J’étais surpris, mais c’est à ce moment qu’on m’a proposé d’enregistrer quelques démos et d’aller les présenter chez Trans-Canada à Montréal.

Jean-Marc Lafontaine devient Alex Fontaine!

Lafontaine accumule en effet depuis des mois diverses nouvelles compositions de son cru, certaines ayant déjà été jouées sur scène au sein des Items. Il se rend donc aux Studios RM (Radio-Marie) de Cap-de-la-Madeleine opéré par les Pères Oblats (voir Résurrection! pour plus de détails sur ces studios) et enregistre au printemps 1967 une quinzaine de démos, seul avec sa guitare. Il se rend ensuite à Montréal pour présenter la bande à Joey Gallimi et Tony Catichio, tous deux dépisteurs / arrangeurs / producteurs pour l’étiquette Trans-Canada qui avait alors ses bureaux sur l’avenue du Parc. Du lot, deux titres sont sélectionnés pour ce qui sera son seul et unique simple: Goodbye & Tu n’es pas sincère.

On assigne bientôt de nouveaux musiciens pour accompagner le chanteur sur disque: Les Chanceliers! Cette formation rock de Montréal avait d’ailleurs été recrutée l’année précédente chez Trans-Canada et gagnait en popularité grâce au charisme de son chanteur, Michel Pagliaro. C’est toutefois sans ce dernier que l’enregistrement du simple de Lafontaine a lieu. Le groupe, formé d’André Parenteau (qui n’a malheureusement aucun souvenir de cette session d’enregistrement), Gilles Brière et Pierre Martin, paufine ainsi une piste musicale. Ce n’est que quelques semaines plus tard que Lafontaine retourne à Montréal pour découvrir le résultat final et y ajouter sa voix. Il ajoute: C’est un garagiste General Motors de St-Jérôme qui a financé les 2500$ pour l’enregistrement de mon 45 tours, par l’entremise de Catatchio ou Gallimi. C’est d’ailleurs Gallimi qui m’a renommé Alex Fontaine. Je l’ai fait pour m’amuser, pour gagner un peu d’argent de poche, mais je ne me voyais pas en faire une carrière. J’ai fait un peu de promotion, mais n’ai jamais interprété mes chansons en solo sur scène.

Je suis parti avec Trans-Canada en mini-tournée promotionnelle -en limousine!- avec Paolo Noël et une chanteuse dont le nom m’échappe. On est passé par toutes les stations radios de Québec et Trois-Rivières en commençant par CHLT à Sherbrooke pour l’émission Bonsoir Copains avec Jean Malo. J’ai interprété mes deux chansons, mais pendant ma première (Goodbye), le son a coupé complètement… et on était en direct! Disons que ça ne m’a pas fait une bonne image.

Par après, à Télé-4, là j’ai pas manqué mon coup pis ça a joué longtemps à Québec, grimpant jusqu’en première ou deuxième position de certaines stations. Ça n’a pas été un énorme succès; je crois que j’en ai vendu 2000 copies en tout. Je gagnais 3 cennes du disque vendu parce que j’étais auteur-composteur. Imagines : Renée Martel, que je connaissais à l’époque, ne gagnait qu’une cenne par 45 tours malgré tout son succès comme interprète!

Alex Fontaine, 1967.

Redécouvert pour la première fois en 1993 sur la compilation Rumble du disquaire montréalais Denis Lalonde (Le Pick-Up), son simple devient immédiatement l’objet de convoitise de nombreux collectionneurs avant d’être adapté par le groupe de Montréal Les Incapables qui l’interprète en spectacle. Le son est cru et la dégaine de Fontaine snotty, baveuse à souhaits! Il crache les quatre vérités au visage de son amoureuse: Ne me parle plus sur ce ton; ce n’est pas une façon de parler aux garçons. Tu devrais faire attention. Tu n’es plus la même, tu as beaucoup changé. Alors écoute-moi bien, je ne peux plus rien.. car tu n’es pas sincère, sincère, toi..oh NON! Boum! Si plusieurs 45 tours rock québécois s’étaient aventurés têtes premières dans ce qu’on décrirait aujourd’hui comme nos premières manifestations punk sur disque (voir notre spéciale Mondo Garage avec Michel Alario), Alex Fontaine peut se vanter d’avoir repoussé les limites du genre en enregistrant le simple définitif ou du moins LA composition la plus fracassante du rock garage en province! Point barre. On peut en débattre longtemps, mais à quoi bon: tu le sais qu’c’est bon!

Au revers, la ballade folk-rock Goodbye, offre tout un contraste mais demeure candide.. comme l’homme qui se confie à nous. C’est d’ailleurs une recette connue que de coupler en face B d’un simple rock un slow amer et déchirant. Cette chanson de rupture, jamais compilée ni rééditée depuis 50 ans, ne manque pourtant pas de mordant: J’y penserai un jour, ce temps passé ensemble, il n’est plus rien pour toi: tu m’as déjà oublié. Ohhh Goodbye. Ne reste pas, je ne dirai rien, tu n’es plus à moi; tout comme avant, je trouverai mon chemin alors je te dirai.. je te dirai.. Goodbye.

Est-ce que Lafontaine est conscient de l’impact profond qu’a eu son unique simple chez une foule de mélomanes et musiciens depuis sa parution originale? Pas vraiment, mais visiblement flatté, il précise sagement sa pensée: Je me souviens, j’avais été invité pour le 50e anniversaire de CKVL à l’époque du 45 tours, un gros party flyé avec des danseuses exotiques, j’avais à peine 17 ans pis je me disais.. ahh ouin, c’est ça le milieu artistique!? C’est sûr que j’étais impressionné, mais je sentais que je devais faire ma vie autrement… J’ai poursuivi mes études après mon 45 tours et j’ai bien gagné ma vie en dehors du milieu en tant que soudeur jusqu’à tout récemment avant de prendre ma retraite. Je ne me considère pas un grand musicien et ma voix n’est pas à tout casser (NDLR : parfaite pour le rock’n’roll!). Cela dit, l’été dernier, j’ai pu assister à un concert rétro par le groupe Les Apollons. En discutant avec les musiciens, Normand Corbin (lui-même un ex-membres des Mustangs qui m’avait remplacé) m’a reconnu – eille toi tu l’avais l’affaire! C’était toute une surprise: on ne m’avait pas oublié! Pis là vous êtes devant moi les gars…

En compagnie de Jean-Marc Lafontaine, juin 2016.

Merci Jean-Marc pour cette première entrevue en 50 ans; Michel et moi pouvons enfin classer ce dossier qui mystifiait bien des mélomanes avertis depuis 1967! Merci aussi à Michel Alario & Félix B. Desfossés pour la numérisation. Si vous avez fait partie des Mustangs ou des Ithems et souhaitez contribuer un témoignage, des photographies ou divers enregistrements inédits, contactez-nous et nous publierons le tout sur cette page.


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3 responses to “Alex Fontaine & le Saint-Graal du rock garage québécois”

  1. Marc Durand Avatar
    Marc Durand

    Très belle entrevue ! Merci Sébastien et M. “Fontaine”. J’adore cette chanson.

  2. François Doc Globensky Avatar
    François Doc Globensky

    Merci Sébastien! Très Bon!

  3. Sylvain Lecours Avatar
    Sylvain Lecours

    Super Cool !

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